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    Froids, déplacés et dans l’obscurité, les civils ukrainiens se préparent à un nouvel hiver de guerre |

    Les grèves en cours contre les infrastructures énergétiques laissent des communautés entières dans l’incertitude quant à leur accès au chauffage, à l’électricité et à l’eau potable dans les mois à venir, tandis que de nouveaux déplacements se poursuivent le long des lignes de front actives.

    Les agences humanitaires préviennent que cet hiver pourrait être l’un des plus difficiles à ce jour, car l’intensification des bombardements, l’aggravation des contraintes d’accès et les déficits de financement croissants menacent de laisser des centaines de milliers de personnes sans soutien adéquat.

    Dans le même temps, le bilan psychologique de près de cinq années de conflit devient de plus en plus visible à travers le pays.

    Dans une interview approfondie lundi avec Nargiz Shekinskaya de Actualités de l’ONU, Matthias Schmalecoordinateur résident et humanitaire des Nations Unies en Ukraine, décrit les risques hivernaux croissants, la vulnérabilité croissante des civils, le déficit de financement auquel sont confrontés les secours et la résilience dont il continue de témoigner chaque jour, dans les communautés vivant sous le feu.

    Il a commencé par décrire la situation humanitaire et les préoccupations les plus urgentes.

    Cette interview a été éditée pour plus de longueur et de clarté

    Matthias Schmale, résident et coordonnateur humanitaire de l’ONU (deuxième à droite) rencontre les habitants de la ville de Kharkiv.

    Matthias Schmale : Il existe plusieurs préoccupations majeures. Premièrement, les frappes militaires en cours continuent d’avoir un impact direct et meurtrier sur les civils. Hier soir encore, quatre civils ont été tués à Dnipro et des dizaines d’autres ont été blessés. Ce type d’impact est constant.

    Deuxièmement, les attaques endommagent gravement les infrastructures de production et de distribution d’énergie. Avec les températures froides qui s’installent déjà, nous sommes particulièrement inquiets de la capacité des gens à se réchauffer et à avoir accès à de l’eau potable.

    Si cette destruction continue et si l’hiver est aussi froid que prévu, notre plus grand cauchemar sera des milliers de personnes coincées dans des immeubles de grande hauteur, sans électricité, sans chauffage ni eau. Gérer ce scénario serait extrêmement difficile.

    Actualités de l’ONU : Pouvons-nous affirmer que cet hiver sera différent de ce que nous avons déjà vécu ?

    M. Schmale : Oui, nous craignons que ce soit le cas. Il y a un effet cumulatif maintenant, alors que nous entrons dans la quatrième année de cette guerre. Cela n’est pas seulement visible en termes de destruction physique, mais aussi en termes psychologiques. Je le constate lors de mes voyages à travers le pays : les gens sont de plus en plus fatigués et las, et de plus en plus incertains quant à leur avenir.

    Ce qui rend également cet hiver différent, c’est l’ampleur des récents dommages aux infrastructures. L’année dernière, les réparations avançaient relativement bien et l’hiver était plus doux que prévu.

    Cette année, le niveau de destruction a été nettement plus élevé et les prévisions suggèrent un hiver plus froid. Cette combinaison rend cet hiver potentiellement beaucoup plus difficile.

    Des humanitaires et des premiers intervenants aident les familles à la suite des attaques nocturnes à Ternopil, dans l’ouest de l’Ukraine.

    Actualités de l’ONU : Quels groupes de population sont actuellement les plus vulnérables ?

    M. Schmale : Un groupe est constitué de personnes à faible revenu vivant dans des immeubles de grande hauteur dans les villes, en particulier dans des logements mal construits. Ils sont particulièrement exposés en cas de panne d’électricité et de chauffage.

    Un autre groupe très vulnérable est celui des personnes vivant à proximité de la ligne de front. Nous estimons qu’au moins un demi-million de personnes vivent entre zéro et 20 kilomètres du front. Beaucoup sont des personnes âgées ou à mobilité réduite.

    Un troisième groupe comprend les plus vulnérables parmi les personnes déplacées à l’intérieur du pays (PDI). Beaucoup sont déplacés depuis plusieurs années maintenant. Certains ont trouvé des solutions en famille, en emploi ou en logement locatif, mais beaucoup restent dans des conditions précaires et continuent d’avoir besoin de soutien.

    Actualités de l’ONU : Le nombre de personnes déplacées ne cesse d’augmenter à mesure que les évacuations se poursuivent depuis les communautés de première ligne.

    M. Schmale : Nous constatons un déplacement par vagues plutôt qu’une augmentation constante. Il y a eu une vague importante en août et nous assistons à nouveau à de nouveaux mouvements.

    J’ai récemment visité la région de Donetsk et le gouverneur m’a dit qu’il restait moins de 200 000 personnes dans la partie de l’oblast contrôlée par le gouvernement. Il craint qu’au moins la moitié d’entre eux partent cet hiver.

    Le nombre de personnes déplacées n’augmente pas au même rythme qu’en 2022, mais il augmente régulièrement.

    Les équipes mobiles de soutien psychosocial des Nations Unies se déplacent à travers l'Ukraine, y compris sur les lignes de front, offrant des interventions d'urgence immédiates ainsi qu'un accès à une assistance à plus long terme.

    Les équipes mobiles de soutien psychosocial des Nations Unies se déplacent à travers l’Ukraine, y compris sur les lignes de front, offrant des interventions d’urgence immédiates ainsi qu’un accès à une assistance à plus long terme.

    Actualités de l’ONU : Pourquoi tant de gens restent-ils encore dans des zones aussi dangereuses ?

    M. Schmale : Je pose souvent cette question et les réponses reflètent un mélange de facteurs. Pour certains, il s’agit d’un profond attachement à leur terre et à leur foyer – leurs familles y vivent depuis des générations.

    D’autres manquent tout simplement d’alternatives. Certaines personnes ont déménagé vers des zones plus sûres mais n’ont pas pu trouver de logement ou d’emploi. Ils m’ont dit qu’ils préféraient rentrer chez eux où au moins ils n’auraient pas à payer de loyer, même si c’est plus dangereux.

    Il existe également un fort sentiment d’endurance et de défi. Certains disent : « Nous avons survécu quatre ans ; nous survivrons encore un an. » D’autres pensent qu’ils doivent rester pour honorer ceux qui ont perdu la vie en défendant le pays. C’est une combinaison de facteurs émotionnels, économiques et psychologiques.

    Actualités de l’ONU : Comment l’hiver affecte-t-il les opérations humanitaires sur le terrain ?

    M. Schmale : L’hiver rend tout plus dangereux. L’état des routes se détériore à cause de la neige et du verglas, et de nombreux convois de première ligne livrant de la nourriture, de l’eau, des articles d’hygiène et des produits de chauffage sont confrontés à des risques plus importants.

    Un autre défi majeur est la ligne de front en constante évolution. Les avancées russes dans certains domaines, même si elles ne sont pas décisives, ont rendu l’accès impossible à certaines communautés. Le Programme Alimentaire Mondial (PAM) estime qu’au moins 50 000 personnes auxquelles elles s’adressaient auparavant ne sont plus accessibles en raison des combats. Cela limite considérablement notre capacité à fournir une aide vitale.

    Les organisations humanitaires soutiennent les personnes touchées par le conflit en Ukraine.

    Les organisations humanitaires soutiennent les personnes touchées par le conflit en Ukraine.

    Actualités de l’ONU : Quelle est l’importance de la coopération avec les autorités locales ?

    M. Schmale : C’est absolument essentiel. L’Ukraine n’est pas un État en faillite. Il reste un État fonctionnel qui continue de fournir des services dans des circonstances extrêmement difficiles.

    J’ai vu des centres de santé fonctionnels à proximité de la ligne de front et, plus loin, des marchés pleinement opérationnels. Le gouvernement, y compris les autorités locales, reste le premier responsable de la sécurité et du bien-être de ses citoyens.

    Notre rôle en tant qu’ONU et communauté humanitaire est de travailler de manière complémentaire – en identifiant ce que les autorités peuvent encore fournir et où nous devons intervenir pour atteindre les plus vulnérables. Nous travaillons en étroite collaboration avec le gouvernement et avec plus de 400 ONG, dont beaucoup sont ukrainiennes, pour garantir que notre aide comble les lacunes les plus critiques.

    Notre plan hivernal vise à atteindre 1,7 million de personnes – principalement celles vivant à proximité de la ligne de front et dans les zones rurales.

    Actualités de l’ONU : Parlons du plan humanitaire hivernal. Quels sont les chiffres clés et dans quelle mesure est-il financé ?

    M. Schmale : Notre plan hivernal vise à atteindre 1,7 million de personnes – principalement celles vivant à proximité de la ligne de front et dans les zones rurales. Cela n’inclut pas tous les résidents urbains vulnérables, en particulier ceux vivant dans des immeubles de grande hauteur.

    Nous fournissons une aide en espèces afin que les gens puissent acheter des produits de chauffage comme le bois, le gaz ou l’électricité. Nous fournissons également des vêtements chauds et des articles non alimentaires essentiels.

    L’appel d’offres hivernal est financé à environ 65 pour cent. Nous avons demandé 278 millions de dollars. Nous avons pu faire beaucoup avec ce que nous avons reçu, mais le déficit de financement fait que de nombreuses personnes attendent encore une aide, notamment de l’argent liquide et du combustible solide pour se chauffer. Nous continuons d’appeler la communauté internationale à financer entièrement la réponse afin que nous puissions atteindre toutes les personnes dans le besoin.

    Un bâtiment détruit dans la région ukrainienne de Kharkiv. (photo d'archives)

    Un bâtiment détruit dans la région ukrainienne de Kharkiv. (photo d’archives)

    Actualités de l’ONU : Existe-t-il un plan B si aucun financement supplémentaire n’arrive ?

    M. Schmale : Pour les gens eux-mêmes, le plan B est de déménager. S’ils ne reçoivent pas de soutien de notre part, du gouvernement, de la Croix-Rouge ukrainienne ou d’autres, ils pourraient s’installer dans d’autres régions du pays à la recherche de chauffage et d’eau potable – ou même quitter le pays.

    Si nous arrivons au scénario cauchemardesque de personnes coincées dans des immeubles de grande hauteur sans services publics, les mouvements de population seront inévitables. Notre capacité à empêcher cela dépend entièrement du financement.

    Actualités de l’ONU : Quel message adressez-vous au peuple ukrainien et à la communauté internationale ?

    M. Schmale : Au peuple ukrainien : tant que nous en aurons les moyens, nous sommes déterminés à rester et à agir. C’est la responsabilité de l’ONU : rester et soutenir les civils contre vents et marées.

    À la communauté internationale : merci pour la générosité dont vous avez fait preuve jusqu’à présent. Cela nous a permis d’aider d’innombrables personnes à survivre à des hivers rigoureux et à des étés de guerre. Mais la guerre n’est pas finie. Nous ne devons pas normaliser ce qui se passe en Ukraine, alors que le pays entre dans sa cinquième année. J’appelle en particulier les gouvernements à continuer de financer ce travail humanitaire vital.

    Il existe d’innombrables histoires qui montrent à la fois la force du peuple ukrainien et le lourd tribut psychologique de la guerre.

    Actualités de l’ONU : Vous voyagez beaucoup à travers le pays. Y a-t-il une histoire qui vous a particulièrement marqué ?

    M. Schmale : Il existe d’innombrables histoires qui montrent à la fois la force du peuple ukrainien et le lourd tribut psychologique de la guerre.

    Il y a quelques semaines, à Kharkiv, j’ai passé une matinée entière sous terre avec une centaine d’étudiants, car les événements publics doivent avoir lieu dans des abris. Au cours de la discussion, j’ai reçu des messages indiquant qu’un jardin d’enfants voisin avait été bombardé. Après la réunion, je me suis rendu sur place. L’école maternelle a été touchée à trois reprises. Heureusement, aucun enfant n’a été blessé.

    Là, j’ai rencontré une femme qui travaille comme humanitaire. Elle avait déposé ses enfants dans ce même jardin d’enfants ce matin-là, avait été appelée pour les récupérer après le bombardement, les avait mis en sécurité, puis était revenue quelques heures plus tard pour aider au nettoyage. Ce niveau de résilience est extraordinaire.

    Une autre expérience s’est déroulée à Kherson, une ville constamment bombardée. Au-dessus du sol, c’était désolé, avec des destructions partout. Mais sous terre, j’ai visité une maternité moderne où une nouvelle vie était accouchée en toute sécurité. Le contraste entre guerre et espoir était frappant.

    Et à Mykolaïv, j’ai rencontré un homme âgé qui est resté chez lui pendant l’occupation. Il m’a fièrement montré comment lui et sa femme ont reconstruit leur maison et leur potager.

    Puis il m’a dit que son frère avait été tué en 2022 et il s’est complètement effondré. En un instant, vous voyez la résilience ; dans le suivant, immense chagrin. C’est ce contraste qui définit l’Ukraine aujourd’hui.

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    First published in this link of The European Times.

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